Pratique d’ ateliers philo avec les enfants
Qu’est-ce que partager des labo-philos?
Grâce à la fondation SEVE (Savoir Être et Vivre Ensemble), j’ai acquis en 2021 les protocoles méthodologiques DVDP (discussion à visée démocratique et philosophique) et AGSAS (https://www.desirsdecole.fr). Mon expérience personnelle en tant qu’artiste me permet d’enrichir ces techniques du « mouvement créatif ». Suivant les groupes et les besoins, nous impliquons le corps, la voix, l’écriture mais aussi la mosaïque de verre et la SCULPTURE GRÂCE AUX SYMPOSIUMS ORGANISÉS PAR L’ASSOCIATION ARTGLODYTE EN PARTENARIAT AVEC SEVE
POSTURE
Cette réflexion m’invite à me positionner dans ce contexte, non pas en « maître sachant » dans la relation à l’enfant mais en simple facilitatrice. La sagesse tente d’arriver non pas par induction extérieure, mais en invitant son émergence naturelle en chacun. Dans l’apprentissage de l’écoute empathique, nous avons tous nos propres réponses, alors que la pensée binaire, reine d’un monde duel, est illusoire, voir obsolète. Ce défi spirituel et intellectuel accepte qu’il n’y ait pas de solution exhaustive aux questionnements conceptuels universels. Le Grand Mystère, qu’il soit de foi ou humaniste, demeure. Il réitère encore la nécessité d’élargir son champs de conscience. J’entrevois ici, la possibilité d’une évolution et d’une humanisation de la gestion des conflits terrestres. Si différence et diversité devenaient dès l’enfance des valeurs acquises, et interrogeaient enfin le bien fondé de la seule compétition? Ce processus éducatif, dès le plus jeune âge a déjà démontré qu’il développe une attitude plus sereine, plus respectueuse et responsable chez les petits humains mieux éclairés sur leur potentiel émotionnel et créatif.
Les valeurs du « vivre ensemble »
Se sont elles qui se pratiquent concrètement au sein des ateliers philo pour contribuer activement à un monde qui sache mieux faire la paix. C’est pour tout cela que mes recherches se sont orientées vers un nouveau concept, me permettant de concilier figure de clown et philosophie:
« LA CLOWNOSOPHIE »: RÉENCHANTER LA PENSÉE
En 2023 Thibault Gibert (également formé par SEVE), croit à l’espièglerie lors de la pratique des ateliers philo avec les enfants. Il en fait son sujet de mémoire pour son D.U! Moi même touchée par sa joyeuse et originale approche, nous décidâmes de présenter une communication lors des journées mondiales de la philo se tenant à l’INSPEE du Mans cette année là. Voici l’article qui en découla:
Atelier de « clownosophie »
C’est quoi ? Avec qui ? Comment ? Pourquoi ?
- I) C’est quoi ? :
Thibault : Un atelier de « clownosophie » comme son nom l’indique s’inspire de l’art du clown et se met au service d’une réflexion de type philosophique. Or, si l’on en croit les nombreux « non-manuels » pour devenir clown, ce qui caractérise cet étrange humain quelque peu extra-terrestre serait le non-savoir ;
Emmanuelle : En effet, un “non savoir” qui, paradoxalement est un éveil entier à l’instant présent, sensible, innocent. Il donne au clown d’être ébahi par la foultitude infos qui jaillissent de tous côtés. Il en devient dans un premier temps, bouche bée. Cela renvoie à ce célèbre aphorisme de Lao-tseu que j’affectionne tant :
« Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas ».
Thibault : Le clown ne sait pas qu’il est clown, nous renseigne le philosophe Fabrice Hadjadj. « En croiserait-il qu’il se désolerait de son manque de tenue. Pourquoi cette méconnaissance à son propre sujet ? En tant que clown, il ignore le retour sur soi. » C’est cela même qui suscite une réflexion espiègle et permet d’entrer dans la dimension réflexive qui dans un premier temps pourrait sembler absente.
Emmanuelle : Et c’est peut-être aussi déjà pile-poil à cet endroit que commence son rôle de passerelle entre la pensée de l’adulte sachant et les participants (enfants ou pas), car malgré toute sa bienveillante volonté, une grande personne reste impressionnante par son savoir, elle connait, se maitrise et intimide. Le clown, à l’instar de l’enfant est sans recul et vit tout en frontal.
Thibault : Ce caractère pratiquement ontologique du clown nous donne un indice sur le ressort humoristique qui lui est propre. C’est d’ailleurs parce que ce dernier ne voit pas la portée de ce qu’il dit, de ce qu’il montre en lui et en l’autre que tout le jeu qu’il déploie malgré lui peut devenir matière à philosopher. « Un “je sais que je ne sais pas » prit à la lettre, joué, expérimenté dans le cadre d’une communauté de recherche qui ne cherche pas tant à apprendre du clown, ni même à rire de lui, mais par le rire à entrer dans le questionnement.
- II) Avec qui ?
Le clown, l’animateur-rice philosophique et la communauté de recherche sont dans un bateau, un navire dont la barre est tenue au milieu des éclats de rire et parfois aussi au coeur des embarras de l’océan philosophique.
Toutefois, ce clown sait éviter de se donner en spectacle, il intègre la communauté. Il est considéré et se considère participant parmi les autres. Sans tabou, il pose et dépose spontanément les questions et les doutes souvent peu assumés par tout un chacun. Il devient à la fois miroir universel. Il digère aisément l’ oxymore du « bouc émissaire heureux » si nécessaire au groupe pour relâcher ses tensions. (cf. Le philosophe René Girard, ici dépassé par le disciple clown !)
Un animateur-rice philo qui danse avec ce partenaire privilégié, navigue avec un nouvel équipage et les moyens humoristiques adéquats, afin de questionner en profondeur l’expérience vécue. De cette alliance, naît une communauté de recherche qui, à l’exemple du clown dans ses touchantes maladresses, ses émotions à nues, entre dans un joyeux questionnement fondé sur l’effet de surprise. De ce fait, les enfants sont conduits par le rire et la découverte à la stimulation que crée l’émerveillement.
- III) Comment ?
Là est la question.
Lors des NPP (Nouvelles Pratiques pédagogiques) du Mans, Emmanuelle Azar-Pichat (artiste, sophrologue et animatrice philo) ainsi que Thibault Gibert, (animateur philo, chroniqueur et artiste) ont monté un atelier mettant en scène différentes amorces entre clown et animateur, susceptibles de soutenir un atelier philosophique.
Introduction
La première phase de cet atelier « clownosophique » a consisté à investir la pratique de l’attention et y placer, en plus de l’intention habituelle d’ amener les enfants à un état de concentration, celle de faciliter le chemin vers un retour à l’innocence face au réel.
1/La pratique de l’attention
La P.A s’est portée alors garante d’une approche plus fine de la posture du clown socratique.
Un redoublement espiègle de la maxime de Socrate en un : « je ne sais pas que je sais que je ne sais pas » favorisant l’étonnement philosophique dont parle notamment Aristote ou plus récemment Jeanne Herch, comme : « source de la philosophie ».
Une pratique de l’attention, sur les pas d’un Marcel Proust (gourmand en descriptions chaleureuses), fut animée par le clown et sa marionnette. Le duo guida l’assemblée autour du souvenir d’une « odeur/bonheur ».
Grâce à des propositions de « perceptions-visualisations », la mémoire cellulaire du bien-être positif et paisible s’active, l’intervention drôle et émouvante d’une marionnette et du clown, permet lui d’éviter l’amalgame : « méditation-religion » qui malheureusement entache parfois l’inconscient collectif autour de cette pratique.
Ce premier temps a aussi l’avantage de sortir l’exercice d’un sérieux apparemment un tantinet rigide et très inhabituel qui impressionne certains enfants et peut les bloquer.
Nous avons consacré une quinzaine de minutes à cette introduction qui contenait en plus de la P.A, un temps de retour réflexif déjà porteur de thématiques: La mémoire, les différences de sensibilité et de besoins au sein du rythme vécu, ainsi que des échanges autour des propositions imagées et sensorielles venant de l’animation.
Le clown est intervenu dans le cercle de parole soit en levant la main, soit sur l’invitation de l’animateur-ice et a interagi en fonction de la situation à laquelle sa nature s’adapte spontanément.
2) L’entrée dans le débat par la porte des petits
Cette partie eu donc pour but, d’inviter les participants-es sur ce chantier formation, à garder une posture d’étonnement capable d’accueillir la difficulté à dire, et les aider à trouver les mots susceptibles d’expliquer une idée, définir un concept, et ce comme s’ils étaient en relation avec des enfants de maternelle ou même de primaire.
Pour l’occasion l’interrogation inductrice consista donc à poser la question élémentaire nécessaire à tout atelier philo, « c’est quoi la philosophie ? ».
L’ouverture au balbutiement face à une telle question, dédramatisée grâce à la posture du clown socratique, donna lieu à un exercice de conceptualisation à l’aide de pictogrammes.
Il s’agit alors de faire appel à leur intuition, et dans un 2e temps, aux raisons qui les guidaient dans le choix des images associées au mot philosophie. Ensuite, nous plaçâmes cette image au tableau et écrivîmes les raisons qui la justifiaient. Ainsi, petit à petit, et ce par la somme de toutes les associations, une idée de la philosophie commença à émerger permettant d’établir des distinctions entre ce à quoi elle se peut se rapporter et ce qui, peut-être, lui est étranger.
3/Crise de croissance du clown pour la deuxième expérience
Ici, le point de départ ne fut plus de disposer les membres de la communauté de recherche vers l’étonnement inspiré de Socrate, mais vers celui inspiré cette fois par Diogène.
Diogène, père des cyniques pendant l’antiquité, était connu pour ses positions radicales, son regard sans concession. Sur ce point, le clown ( ici toujours avec tendresse et légèreté), pose à sa manière un regard décapant sur les choses de la vie.
Nous avons présenté quatre saynètes qui offrent au clown un cadre d’interaction avec les participants-es et permettent de venir questionner de manière originale et sans concessions des sujets présents au cœur de la vie des adolescents-es.
Une première intervention clownesque vint interroger le corps, le fait de grandir, le changement, la question de la moquerie, du regard d’autrui, et la notion de vérité.
Une deuxième, par l’accroche des vêtements de marque, interrogea l’identité, le jugement, la différence, le harcèlement, le conformisme, le pouvoir de l’apparence, la société de consommation, la différence entre avoir et être.
La troisième orienta les interrogations autour des ressentis en partant d’une interaction de type, « toi, je sens que tu ne peux pas me sentir », et permît de creuser les notions de
désir/attirance, du rejet, de l’amour/haine, de l’amitié, de l’altérité.
Enfin, une 4e saynète joua la carte de l’affection spontanée, et vint interroger la notion de consentement, de l’intimité, de l’inspiration, de l’émerveillement, de l’éveil des sens, de la poésie.
Ces quatre amorces furent présentées sous le mode du jeu « un deux trois soleil », où le clown, chaque fois que l’animateur sonnait la cloche, se figeait et retournait à sa place, laissant les participants-es réfléchir sur ce qui venait d’être vécu afin d’en extraire les sujets qui touchent, qui importent, qui questionnent.
Il s’agit donc d’une astuce espiègle typique du clown, pour aider les adolescents dans leur collecte de sujets philosophiques, sur le modèle d’une pensée sensible, en allant chercher ce qui occupe vraiment leur quotidien, leur parle de leur croissance, sans qu’ils l’aient pour la plupart du temps conscientisé comme matière à réflexion.
Lors des RINPP, cette présentation ouvrit à un temps de questions-réponses qui portèrent sur l’atelier lui-même plutôt que sur les sujets abordés.
IV) Pourquoi ?
La question à un million… de réponses possibles. Nous nous limiterons à cinq :
Réaliser un atelier philosophique présente bien des difficultés aussi bien du côté des participants-es (quel que soit leur âge) que de l’animateur-rice.
La première consiste dans le choc que peut représenter le fait de se mettre à réfléchir ensemble à haute voix, sous le regard des autres, sur un sujet auquel a priori on ne connait pas grand-chose.
Ça peut faire peur. Le clown est là pour non seulement exprimer simplement cette vérité criante, mais bien entendu la dédramatiser.
La deuxième difficulté concerne le piège rassurant du “sachant” et qui guette en premier lieu l’animateur-ice, mais aussi les élèves à qui on apprend beaucoup sur le modèle du savoir.
Là encore, le clown avec sa dimension socratique permet de revenir aux fondamentaux et de s’ouvrir à une réflexion renouvelée.
La troisième et pas des moindres, concerne l’enthousiasme parfois mitigé que produit l’atelier au sein de la communauté des jeunes. Les sujets abordés trouvent immédiatement ici des racines dans la vie quotidienne et présentent des intérêts directement perceptibles. Sur ce point, le déploiement du clown « Diogénique » qui par ses questions et ses attitudes ose déranger, ose titiller et mettre les élèves au cœur du sujet, permet d’ouvrir des portes vers une réflexion commune qui intéresse tout un chacun, aussi bien les participants que l’animateur.
Un problème plus général concerne le sérieux qui alourdit parfois les ateliers philo.
Avec le duo clown/animateur, l’humour par sa volonté de ré-enchanter la philo, trouve la place qui lui échoie sans pour autant mépriser la digne nécessité du déploiement et de l’éclosion des habiletés de pensée.
Enfin, si penser est attractif, voir concrètement cette pensée à l’œuvre et en faire l’expérience par les sens grâce à la figure d’un clown socratique et “Diogénique”, permet une entrée corps et esprit dans une philosophie susceptible de s’incarner et dépasser la simple activité de l’atelier.
Notes :
Günther Anders, dans années 1960, soutient qu’il existe entre les philosophes et les clowns une étroite proximité. Son tour de force consiste à identifier des motifs communs chez deux êtres que tout oppose a priori ; des motifs qui tiennent moins à une capacité à faire rire aux éclats les foules qu’à témoigner auprès d’elles d’une certaine énergie inquiète. Ce que les clowns et les philosophes partagent, c’est au fond leur manière de s’insérer dans leur temps… (cf Daniel Payot et son essai : Les philosophes et le temps des clowns)